L'ECRITOIRE

Dans une vieille ferme du sud de la France, il est un écritoire dont voici quelques bribes d’histoire.

Abandonné à son sort solitaire quelques années, il a cependant traversé deux voire trois siècles et une frontière. Combien de générations l’ont  utilisé?A quelle fréquence ? Nul ne le sait plus, mais il fut fort probablement  un objet de bois simple et utilitaire.

Facile à déplacer, se posant ici ou là, il repose actuellement sur une petite table à laquelle il a emprunté sa gamme de couleurs tendres.

Lui voilà  bien meilleure mine, on pourrait dire qu’il vit une seconde jeunesse, tout en restant fort discret.

la pièce qui l’héberge est un espace personnel

-Interdit à  ceux qui n’ont cure des mots et des émotions, de la pudeur et du respect de l’autre et de sa  sphère privée.

Sur  son dos  folâtrent  un gros classeur, deux trois précieux  cailloux, un livre, un petit cadre, une boite octogonale dans les mêmes tons décorée de chats…

Autrefois, il était parait-il jonché de colonnes de  chiffres : le grand oncle y tenait  ses comptes !

Mais  la richesse de l’écritoire ne  se cache-t-elle pas surtout   sous  son abattant ?

 La clé en a été perdue depuis fort longtemps, mais cela ne l’empêche nullement d’héberger sans cesse de nouveaux trésors , puisqu’il est resté ouvert !

Aujourd’hui, on y aperçoit un bel objet/cahier en papier recyclé .

Entre ses pages dorment des feuilles, des pétales, des photos, avec ou sans dates.Il reste bon nombre de pages vierges…

Dans l’angle gauche, chuchotent deux minuscules poupées , l’une blanche, l’autre noire, héritées d’un père trop tôt disparu. Probablement échangent-elles ses secrets de petit garçon malheureux, c’est tout du moins le souvenir attaché à leurs robes défraichies.

A droite, un plumier de bois orné d’un élégant  chat longiligne attend  d’être ouvert afin de laisser s’échapper l’inspiration qui suffoque parfois ou s’endort des mois durant.

Qu’importe ? l’écritoire traverse le temps sans  plus compter !

Quelques photos et dessins jonchent son plancher. Une petite boite avec des dents de lait traine à leur côté.les enfants sont devenus grands , ils construisent ailleurs leurs jeunes vies d’adultes en l’ignorant, mais lorsqu’ils reviennent au nid de leur enfance, leurs éclats de rire ou leurs conversations animent brusquement l’air ambiant  comme autrefois.

Impassible et silencieux, l’écritoire en capte la joie et se réjouit :  l’histoire familiale continue de s’écrire sans forcément de mots gravés par les crayons de couleurs « aquarellables » -une merveille à utiliser-  épars en son sein.

Une simple visite l’éveille certains jours. Caressé distraitement ou ouvert délicatement, les fibres de son bois repeint frémissent  et sourient  allègrement.

Bien au chaud en hiver, ce qui ne fut pas toujours le cas, loin de là, durant sa longue vie, il jouit de la fraicheur en été et n’est point exposé aux rayons violents du soleil qui le dénaturerait irrémédiablement.

Il est juste le gardien fidèle et protégé de milliers de secrets de famille qui peuvent être révélés aux âmes qui le souhaiteraient. Il suffit de demander, d’apprivoiser sa timidité, d’avoir la patience d’écouter le léger grincement de ses solides charnières …

Une boite de bougies attend sagement de faire la lumière sur les pages froissées  .

Il est certain que pour celle ou celui qui s’attardera encore auprès de lui, d’autres découvertes pourront être faites  , et de nouveaux trésors engrangés.

L’écritoire défie le temps sans ostentation et transmettra à la postérité ses expériences les plus intimes , les plus folles, excentriques, originales ou sages , au gré des aspirations humaines qui ne manqueront pas de le visiter encore et encore….